Adaptée (SNCF, 2022)
« Nantes, je te quitte »
Ah oui, j’ai oublié de vous dire… J’ai quitté Nantes en 2035 pour vivre à la campagne, en grande partie à cause de l’inflation généralisée et des rayons à moitié vide, mais aussi car je rêvais depuis toujours d’avoir une ferme. Il faut dire que la nourriture est devenue un bien précieux et son acheminement jusque dans les grandes villes est devenu beaucoup trop coûteux. Le choc pétrolier de 2027 a engendré beaucoup de faillites chez les transporteurs routiers, ainsi l’offre de transport s’est réduite et les coûts du fret ont considérablement augmenté. En parallèle, avec la crise financière et économique mondiale de 2028, les budgets des collectivités ont encore fondu, si bien que les petites routes de campagne ne sont quasiment plus entretenues. Faute de bitume, les nids-de-poule ont fleuri un peu partout et rendent le transport des denrées alimentaires à travers le département de plus en plus compliqué.
L’exode urbain est dorénavant une réalité incontournable, enfin peut-être pour nous d’abord les plus aisé(e)s ayant eu vent du départ des voisins de notre quartier. La simple idée de ne plus pouvoir nous nourrir ou nourrir nos familles nous pousse à entreprendre ce chemin vers les petites villes de campagne. Celles ayant à minima, une gare ferroviaire ou étant situées en bord de Loire sont les plus prisées. Par chance, la Loire reste suffisamment navigable sur le tronçon entre Nantes et Angers pour permettre le développement du transport fluvial. Pour ma part, j’ai choisi une petite ferme avec vue sur la mer, située près de Pornic. Je fais mes achats à vélo et je prends régulièrement le train. Chaque soir, j’observe les couchers de soleil et les voiliers partir au large.
À Nantes, les bureaux se vident peu à peu en raison de la rareté des emplois dans le secteur tertiaire, des pannes fréquentes des ascenseurs, des systèmes de climatisation défaillants, ainsi que de la chaleur insupportable des dalles et dans les immeubles à partir du mois de mai. La conjonction des conséquences des changements climatiques a lourdement impacté la productivité des salariés, contribuant ainsi à l’évacuation des lieux de travail. Nantes Métropole, autrefois foisonnante et pleine de vie carbonée, agonise lentement mais sûrement. Place aux galleries Lafaillites… « Une véritable banque de matériaux de réemploi ! » comme disent les architectes, tandis que les campagnes connaissent une nouvelle vitalité.
Encore à l’heure actuelle, des vagues de gens quittent la métropole nantaise, abandonnant derrière eux leurs emplois, leurs maisons et tout ce qu’ils ont toujours connu. Si, autrefois, le budget alimentaire était la variable d’ajustement face à l’inflation des prix du logement et des transports, dorénavant nous ne pouvions plus. Les ménages les plus précaires et les personnes âgées, ne pouvant quitter la ville pour des raisons de santé, se lancent dans l’agriculture urbaine, cultivent des jardins potagers sur les toits ou dans les espaces publics restants. D’autres se tournent vers la cueillette sauvage en bord de Sèvre, apprenant à reconnaître les plantes comestibles. En ville, l’ancien mode de vie centré sur la surconsommation laisse place à une mentalité de subsistance.
Heureusement, ici à la campagne la vie est plus facile. Nous avons retrouvé le temps perdu que nous n’avions jamais gagné en ville… Ici chaque mercredi, les chevaux de traits sont utilisés pour la collecte des déchets ou le transport scolaire. Cela permet de créer du lien social entre les habitants des quartiers qui s’arrêtent tour à tour pour saluer les chevaux et les caresser. Dorénavant, on apprend à vivre avec la nature et à apprécier la simplicité de la vie. Les valeurs matérialistes ont été remplacées par une compréhension profonde des vraies priorités de l’existence. La compétition a été reléguée en dernière position… Tandis que la coopération et l’empathie priment sur l’individualisme et l’égoïsme…
Auparavant mon métier ne me rendait pas heureuse. J’étais stressée, ma vie n’avait rien à voir avec ce que j’avais rêvé. Qui plus est, je n’avais pas l’impression de changer le cours de l’histoire à ma manière. Dans ma nouvelle vie professionnelle, j’ai le sentiment d’avoir le temps de bien faire les choses. Je fais de mon mieux, j’ai le sens de l’effort parce que je sais qu’il est juste et utile. L’agriculture contribue à mon épanouissement et me permet d’apporter à la société mes engagements et mes talents. J’expérimente sans avoir peur d’échouer, surtout mes chevaux de trait et mes chèvres ne me jugent pas. Je n’ai plus peur de tout perdre si je me trompe. Je ne suis pas seule dans cette aventure, une copine qui rêvait d’avoir une ferme m’a rejoint dans l’aventure. Il n’y a plus de choix irréversibles, rares sont les personnes qui ont eu un parcours tout tracé en 2040. Des millions de personnes ont changé de boulot ou diversifié leurs activités, et ce quel que soit leur niveau de qualification.
D’ailleurs, la perte de revenus engendrée par la crise financière et économique mondiale de 2028, couplée à l’inflation sur les prix de l’alimentation et des transports, fait que nous sommes tous et toutes jardinier / ingénieur, jardinier / instituteur, jardinier / plombier, etc., ou agriculteur(trice) à plein temps. Ainsi, je ne me définis plus comme une intellectuelle ou une manuelle, je suis les deux. On a toutes et tous remis les mains dans la terre pour compenser notre perte de revenus en contribuant à la production d’une partie de notre alimentation. En parallèle, une grande partie de la population suit des formations pour apprendre à réparer, transformer, recycler. Au fil du temps, je me suis adaptée à cette nouvelle réalité. Je me sens à la fois plus indépendante, mais aussi plus liée aux autres humains et non humains. Je choisis le collectif, je ne le subis pas. Si je réalise que la faim a pu parfois justifier les moyens, cela ne signifie pas pour autant que nous avons perdu l’humanité qui sommeillait en nous.
On a traversé des épreuves difficiles, mais nous nous sommes aussi découverts une force et une résilience collective insoupçonnées. Les échanges et le partage sont devenus essentiels pour la survie de tous. Les gens comprennent que la coopération est le seul moyen de s’en sortir. Des collectifs se forment, chacun apportant ses compétences spécifiques pour le bien-être de tous. Certains construisent des systèmes d’irrigation pour l’agriculture, tandis que d’autres se spécialisent dans la conservation des aliments pour l’hiver. Les leçons de coopération, d’entraide et de respect resteront gravées dans nos mémoires.
Le monde a changé, et il reste à voir si cette nouvelle façon de vivre permettra aux humains de prospérer à nouveau sur cette planète abîmée. J’ai conscience que je fais partie d’un tout, que je suis une espèce parmi les autres et qui a besoin des autres. Je suis fière de ne plus détruire, de réparer petit à petit les dégâts du passé. Parfois je peste contre les bugs numériques qui font notre quotidien… On a également fini par se rendre compte que les réseaux sociaux jouaient sur notre santé mentale. Quelle paix depuis que les serveurs ont fermé… Dorénavant, je suis moins stressée, plus apaisée, plus confiante.
Aujourd’hui, nous sommes le 31 août 2040. La grande simplification est allée bien plus vite que ce que je ne pensais. Tout compte fait, j’ai plus de temps pour moi, mes chèvres, mes chevaux, mes ami(e)s et ma famille, et plus d’espace mental pour rêver et imaginer mes voyages en voilier de demain aux confins du bassin méditerranéen…
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Ce récit s’est en partie inspiré du récit prospectif La vie low-tech en 2040 de l’Institut Paris Région (2021).