Adaptée (Ville de Pornic, 2022)
Vers la technolochiche ?
Notre récit se déroule aux alentours des années 2040, dans une charmante petite ferme familiale nichée dans la campagne du Pays de Retz à côté de Pornic, à une trentaine de kilomètres de la métropole Nantaise. Un jeune agriculteur, du nom d’Hadriel, travaille la terre avec son tracteur Oggún, un engin sobre, robuste et réparable conçu à l’origine pour les agriculteurs cubains. Son tracteur est accompagné d’un outil, également low-tech, qu’il a lui-même fabriqué en suivant les tutoriels de la coopérative d’autoconstruction l’Atelier Paysan. À sa majorité, Hadriel s’est rendu à Cuba pour apprendre les techniques de l’agroécologie et de la traction animale, une expérience qui l’a enrichi. Les Cubains, experts en agriculture agroécologique sans pétrole depuis el periodo especial des années 1990, accueillent régulièrement des agriculteurs de Loire-Atlantique et d’ailleurs en France, pour des formations agriculture post- pétrole (ou presque).
Chaque soir un voilier part du port de Saint-Nazaire en direction de La Havane, je les regarde partir au large quand je profite du coucher de soleil. Les chantiers de l’Atlantique, en déclin durant les années 2030, ont d’ailleurs reconverti une bonne partie de leurs activités pour la construction de navires à voile. Le chemin jusqu’en 2040 a été jalonné de chocs sans précédent en France : des crises énergétiques, environnementales, sociales et sanitaires qui nous ont poussés à réfléchir et à repenser nos valeurs et notre organisation. Ces événements ont été l’occasion de redéfinir nos attentes fondamentales et nos besoins essentiels, ainsi que le sens et l’impact de nos actions. Ils ont conduit à un renouvellement de nos modes de vie et de nos façons de faire.
Depuis les ravages de la crise financière mondiale de 2028, provoquée par le choc pétrolier de 2027, la société française a adopté une philosophie low-tech, prônant la durabilité forte, la résilience collective et le changement culturel. Dans les campagnes on s’est rendu compte, dans les années 2030, que la montée en complexité des tracteurs et autres machines agricoles avait laissé sur le bord du chemin beaucoup d’agriculteurs qui n’avaient alors plus les connaissances et les moyens de réparer quoi que ce soit. Cela réduisait considérablement leur autonomie et ce fanatisme pour la technologie empêchait tout débat citoyen sur le sens du progrès dans l’agriculture. Auparavant, les gens ne parlaient que d’agriculture 3.0 (drones, tracteurs connectés, tracteurs autonomes, robots de désherbage, de robots d’alimentation, etc.), alors même que cette logique entrait déjà en conflit avec la nécessité de construire la résilience des fermes de la région.
Ainsi, la contrainte sur les transports de marchandises et la baisse de nos capacités de maintenance ont considérablement pesé et ont obligé les agriculteurs à réinterroger leur dépendance aux nouvelles technologies en allant vers des outils et machines low-tech (sobres, robustes et réparables) produits localement. Il a été également question de limiter la gamme d’outils et de machines afin de favoriser les stocks de pièces de rechange d’occasion et les échanges au niveau local.
En 2040, les anciennes logiques de spécialisation agricole régionale ont laissé place à des pratiques de polyculture-élevage agroécologique à plus petite échelle, respectueuses de la biodiversité, créatrices d’emplois et adaptées aux changements climatiques majeurs. Toutefois, il a été décidé collectivement que la mécanisation agricole devait être la dernière chose à abandonner. Comme l’a souligné Philippe Bihouix, alors ministre délégué chargé de l’Industrie en 2032, l’idée n’était pas de « renvoyer tous les étudiants aux champs pendant plusieurs mois ».
Ainsi, même avec la diminution des approvisionnements en pétrole, les importations de cette ressource fossile sont automatiquement orientées vers l’agriculture qui compte toutefois une mécanisation beaucoup plus low-tech. Si, malgré tout, le pétrole manque pour les engins agricoles ou devient trop cher, certains biocarburants comme le biogaz et les huiles végétales brutes peuvent être utilisés en mélange avec le diesel pour alimenter les tracteurs. La biomasse agricole non consommée et les déchets verts sont eux valorisés grâce à la multiplication des systèmes de micro-méthanisation et de compostage dans les villages et les petites villes du Pays de Retz.
En parallèle, l’utilisation de la traction animale en agriculture est revenue en force dans le maraîchage et la viticulture depuis le choc pétrolier de 2027. Les chevaux de trait présentent en effet de nombreux avantages agronomiques, techniques et économiques, dépassant ceux du tracteur dans ces filières. Dans les structures maraîchères près de Machecoul, de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu ou de Saint-Julien-de-Concelles, notamment sur les petites surfaces, on voit les chevaux se faufiler entre les rangs de culture et, grâce à des outils adaptés, remplacer entièrement l’usage du tracteur.
À Pornic, les chevaux de traits sont même utilisés chaque vendredi matin pour la collecte des déchets ou le transport scolaire. Cela permet de créer du lien social entre les habitants des quartiers qui s’arrêtent tour à tour pour saluer les chevaux et les caresser. Qui plus est, la médiation équine est devenue une pratique commune dans le traitement des chocs post-traumatique qui sont nombreux dans la population. Le message martelé par les politiques et les médias, à l’échelle nationale, sur le retour à la croissance n’avait en rien préparé la population, qui a alors été absolument prise au dépourvu par le séisme des changements industriels de 2028-2035.
En parallèle, l’’évolution vers des méthodes agricoles agroécologiques et low-tech ont également trouvé un écho chez Hadriel. Profondément attaché à une approche techno-critique et en harmonie avec le vivant, il n’utilise ni pesticides, ni engrais chimiques et minéraux, et le moins de mécanisation possible. Pour cette raison, la culture des pois chiches lui convient parfaitement, puisqu’elle nécessite très peu d’interventions, de traitements et d’intrants. C’est au sein de cette petite exploitation agricole low-tech que notre héros, un modeste pois chiche, commence son récit de vie…
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Ce récit s’est en partie inspiré du récit prospectif La vie low-tech en 2040 de l’Institut Paris Région (2021).