Porticus Aemilia sur les bords du Tibre en 111 ap. J.-C. (The Atlas of Ancient Rome, 2023)
Les villes sont nées d’abord dans les régions chaudes, fertiles, dans les bassins fluviaux (présence d’eau) et dans la partie aval des cours d’eau (ce qui facilite le transport nécessaire pour alimenter la ville). Ainsi, dans son ouvrage intitulé De Jéricho à Mexico : Villes et économie dans l’histoire, Paul Bairoch analyse différents éléments liés à la localisation, à l’influence, à la taille et aux fonctions économiques des villes. L’auteur souligne que le principal facteur de localisation des villes réside dans les voies de transport, notamment les voies navigables qui jouent souvent un rôle déterminant (tels que les embouchures, les confluences, les points où les rivières deviennent impraticables pour la navigation, les rives des lacs, les gués).
Cependant, il existe des exceptions et d’autres facteurs de localisation, tels que les motifs religieux, militaires, les villes minières (pour les métaux précieux), les capitales établies par les souverains, voire les villes liées à des sources thermales, bien que ces facteurs soient moins courants. Outre la nécessité de se développer à proximité de terres les plus fertiles (grâce aux sédiments des fleuves), afin de développer une agriculture à fort rendement, Ugo Bardi (2021) observe lui aussi que les plus grandes villes de l’Antiquité étaient toutes situées le long des fleuves car ceux-ci constituaient des voies de transport efficaces : les fleuves Tigre et Euphrate pour les cités sumériennes, le Nil pour les cités égyptiennes, le Fleuve Jaune (Huáng hé) pour les cités chinoises, et le Gange pour les cités indiennes (Bardi, 2021).
Les voies navigables présentaient en effet l’avantage de nécessiter beaucoup moins d’énergie que les transports terrestres (ânes, mules, bœufs et chevaux de traits, chameaux, etc.) pour la même quantité de marchandises transportées. Les capacités d’emport des navires étant très grandes et la force de frottement coque-eau étant très faible, le coût énergétique pour déplacer les marchandises sur la mer, dans les fleuves et les rivières, est presque nul. De plus, les transports maritime et fluvial étaient beaucoup plus sûrs que le transport terrestre de l’époque, il était beaucoup plus facile de barrer la route à une charrette qu’à un navire (Bardi, 2021). Ainsi, dans le monde antique, le transport maritime ne coûtait déjà presque rien comparé aux transports terrestres, le rapport aurait été de 1 à 42 (Morley, 1996).
Si les transports maritime et fluvial étaient d’une importance capitale durant l’Antiquité, il est important de souligner que Rome, n’a pu dépasser le million d’habitants que grâce à un système interconnecté combinant les transports terrestre, fluvial (et canalisé) et maritime (Colin Adams, 2012). En effet, dans l’Antiquité, comme à l’heure actuelle, toutes les opérations de transport impliquant le transport maritime ou fluvial nécessitaient, en soutien, au moins un court voyage terrestre pour le pré acheminement ou le post acheminement des marchandises – un fait qui s’observe dans le transport de céréales en Égypte durant l’Antiquité (Colin Adams, 2012).
Porticus Aemilia, situé sur le coude du Tibre juste au sud de Rome, était sans doute le plus grand port fluvial commercial de la Rome antique, Établi en 193 av. J.-C. pour approvisionner la cité romaine, il se composait de quais, d’entrepôts, de marchés et de greniers. Le Tibre et ses affluents, ont donc été au cœur de la prospérité et de la croissance de Rome (Colin Adams, 2012). Le Tibre était navigable pour les navires de toutes tailles depuis la Méditerranée, son calme le rendait propice aux échanges et à la vie, si bien que beaucoup de villas bordaient ses rives (Colin Adams, 2012). Les ports durant l’Empire romain agissaient comme des points nodaux, reliant les voies maritimes, fluviales et terrestres (Colin Adams, 2012).
Qu’ils soient situés sur la côte ou sur les rivières, les ports étaient reliés par des routes principales qui étaient elles-mêmes à leur tour connectées à des routes secondaires et des chemins (Colin Adams, 2012). Les rivières assuraient une communication intérieure, elles offraient naturellement des liaisons entre les endroits, particulièrement importantes dans les régions où les routes étaient absentes (Colin Adams, 2012). Les rivières fournissaient des voies navigables permettant d’aller loin à l’intérieur des terres et étaient un moyen de transport facilement accessible aux communautés (qui étaient souvent situées près d’une rivière, à la fois pour l’eau potable, le transport ou encore l’agriculture) (Colin Adams, 2012). Leurs affluents, s’ils étaient navigables, étendaient leur portée (Colin Adams, 2012). Même lorsque la navigation devenait difficile plus en amont, des radeaux, plutôt que des bateaux, pouvaient être utilisés, et des marchandises telles que le bois pouvaient être acheminées en aval. Sans les rivières, le commerce du bois aurait été sérieusement entravé.
Ainsi, les rivières étaient d’importantes voies de communication permettant le transport, le commerce, l’activité commerciale et l’emploi. Cependant, les rivières posaient des problèmes de navigation : courants forts, rapides, chutes d’eau et passages étroits représentaient des difficultés. Certaines rivières gelaient pendant les mois d’hiver, comme le Danube, et d’autres étaient en crue, comme l’a fait le Nil de manière célèbre (Colin Adams, 2012). Les niveaux variables de navigabilité poussaient à utiliser différentes formes de navigation de l’aval à l’amont : des navires marchands de taille considérable, en passant par des navires marchands plus petits, pour finir par des bateaux fluviaux (Colin Adams, 2012). Parfois, la communication entre les rivières était même améliorée par la construction de canaux (Colin Adams, 2012).
Comme par le passé les plus grandes villes se trouvent souvent près des côtes ou sur un fleuve pour mieux profiter des possibilités d’approvisionnement qu’offrent le transport maritime et le transport fluvial. Les grandes villes ne peuvent exister qu’en étant massivement ravitaillées par un système de transports commerciaux. D’après les recherches d’Antoine Frémont (2015), le lien entre les cinquante premières métropoles mondiales et l’ouverture maritime via un port de commerce est extrêmement fort. Sur ces cinquante agglomérations, 32 se trouvent en situation littorale et disposent d’un port maritime avec un trafic conteneurisé. Parmi les 18 qui ne sont pas en situation littorale, 13 disposent néanmoins d’une relation de proximité avec un port maritime grâce à une distance relativement faible avec ce dernier (moins de 400 kilomètres) et/ou par un lien facilité grâce à un fleuve qui permet la navigation fluviale à grand gabarit (Frémont, 2015).
Toutefois, nous vivons également une anomalie dans l’histoire de l’emplacement géographique des villes. Pour preuve, même dans les régions – parfois désertiques – où les transports maritime, fluvial et ferroviaire n’existent pas et où l’agriculture n’est que peu développée, des villes poussent comme des champignons sous hormones de croissance. Grâce au pétrole abondant et bon marché ainsi qu’au transport routier de marchandises, il est aujourd’hui possible de ravitailler des villes de plusieurs millions d’habitants en plein désert. Typiquement, Las-Vegas aux États-Unis, est une ville qui, sans le système moderne des transports routiers de marchandises, n’aurait jamais pu atteindre son niveau actuel de presque deux millions d’habitants (Bardi, 2021). Dans son livre Ville affamée, Carolyn Steel estime aussi que « la capacité à conserver la nourriture et à la transporter sur de longues distances [et presque n’importe où grâce au pétrole] a libéré les villes des contraintes géographiques, rendant possible leur construction dans des environnements aussi improbables que le Désert de Dubaï ou l’Arctique » (Steel, 2016).
Bibliographie
Bardi Ugo. Politiques de l’anthropocène. Chapitre 8 – Des transports sobres en période de descente énergétique. Gouverner la décroissance, 519-30. Presses de Sciences Po, 2021
Adams Collin, 2012. Transport in the Roman Empire. The Cambridge Companion to the Roman
Economy, publié en 2012 onsulté le 26 avril 2022]. Disponible sur :
https://www.academia.edu/10259552/Transport_in_the_Roman_Empire
DABLANC, Laëtitia et FRÉMONT, Antoine (dir.) (2015) La métropole logistique. Le transport
de marchandises et le territoire des grandes villes. Paris, Armand Colin, 320 p.
Morley Neville. Metropolis and Hinterland: The City of Rome and the Italian Economy, 200 BC-
AD 200. Cambridge University Press, 2010, 224 p.
Steel Carolyn. Ville Affamée : Comment l’alimentation façonne nos vies. Rue de l’échiquier,
2016, 448 p.