Qu’est-ce qui détermine historiquement la taille des villes ?

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Italie – Ostia (Ostie) – Vue sur les horrea epagathiana (Golvin, 2021)

Si la ville peut être vue comme un ensemble de bâtiments, de rues, de places, de structures, et bien sûr, d’êtres humains (Roddier, 2021), alors, selon Ugo Bardi, il est également possible de considérer les villes comme « des systèmes métaboliques ayant beaucoup de choses en commun avec les êtres vivants » (Bardi, 2021). D’ailleurs, pour Carolyn Steel, les villes sont ce qu’elles mangent (Steel, 2016), et à l’instar de la plupart des organismes vivants, ces dernières consomment des ressources et produisent des déchets.

Autrement dit, du point de vue de la thermodynamique, les villes absorbent la matière-énergie dans un état concentré appelé basse entropie (nourriture, pétrole, gaz naturel, charbon, métaux, etc.) et la rejettent, entre autres, dans un état dispersé appelé haute entropie (gaz à effet de serre, pollutions, chaleur, etc.). Ainsi, les villes sont des systèmes voués à la dissipation des potentiels thermodynamiques disponibles (Bardi, 2021), c’est-à-dire des systèmes voués à la dissipation des quantités d’énergie libre et de matière à disposition. Le scientifique italien précise que le métabolisme d’une ville atteint son taux maximal de production d’entropie en fonction de la quantité d’énergie qui peut être délivrée (Bardi, 2021). Et, logiquement, cet apport d’énergie et de matière dépend des systèmes de transport qui délivrent les ressources (et évacuent les déchets), à l’extérieur comme à l’intérieur de la ville (réseau urbain) (Bardi, 2021). Ainsi, l’efficacité des systèmes de transport détermine l’organisation, la structure et les dimensions des villes (Bardi, 2021).

En parallèle, d’après la théorie de la rente de Von Thünen, les produits agricoles dont les coûts de transport sont les plus élevés se situaient près du marché : ce sont donc également les coûts de transport de marchandises qui, historiquement, structuraient les activités agricoles dans l’espace.

Toujours selon Ugo Bardi (2021), nourrir les habitants d’une ville signifie qu’une quantité suffisante d’énergie-matière doit y être délivrée sous la forme de nourriture, en l’occurrence du blé principalement par le passé. Or, dans l’Antiquité, les céréales elles-mêmes étaient les seuls « combustibles » sur lesquels les transports terrestres de l’époque (ânes, mules, bœufs, chevaux de traits, chameaux, etc.) reposaient (Bardi, 2021). Il existe donc, selon Ugo Bardi (2021), un TRE du transport, c’est-à- dire un rapport entre l’énergie investie pour le transport de l’énergie et l’énergie transportée.

Avant l’apport exogène massif d’énergies fossiles, les faibles TRE des transports terrestres, basés sur le vivant, limitaient la dimension des villes. Déjà, dans La Cité à travers l’histoire, Lewis Mumford constatait que jusqu’au XIXe siècle, des moyens de transports limités sur le plan local et régional restreignaient tout naturellement la croissance des cités. C’est aussi ce que soutient Mickael Brard (2020) et précise que si effectivement la taille des villes était contrainte par le « coût énergétique de livraison des marchandises mesuré alors en quantité de fourrage nécessaire pour nourrir les attelages », elle l’était également « par la capacité des réseaux de transports à approvisionner leur centre en un temps raisonnable au regard de la durée de vie des produits frais…». À noter, en permettant de stocker des denrées périssables sur de plus longues périodes et de les transporter sur de plus longs trajets, les progrès dans la conservation des aliments, tels que la fermentation ou la salaison, ont favorisé le commerce à plus grande échelle.

Avant l’apparition du chemin de fer puis des transports routiers, l’approvisionnement alimentaire des villes était la principale difficulté que les villes avaient à surmonter. Dans son livre Ville affamée, Carolyn Steel explique que les rues étaient encombrées de charrettes transportant des légumes et céréales, que les fleuves et les ports regorgeaient de barges, de vraquiers et de bateaux de pêche et que les rues et les cours étaient envahies par les vaches, les cochons ainsi que les poules (Steel, 2016). D’après l’architecte anglaise, les habitants des cités antiques ne pouvaient avoir aucun doute sur la provenance de leur nourriture puisqu’elle était tout autour d’eux apportée, en grande partie, par les producteurs eux-mêmes. À cette époque, aucun citadin n’aurait pu rester dans l’ignorance dont nous faisons preuve à l’heure actuelle. Puis les difficultés d’approvisionnement alimentaire ont diminué avec l’arrivée du chemin de fer au XIXe siècle. Carolyn Steel rapporte qu’avec l’arrivée du train, les rues commerçantes se sont développées au détriment des marchés, et avec elles un autre rapport à la consommation alimentaire s’est imposé, caractérisé par une fracture physique et commerciale entre les producteurs et consommateurs (Steel, 2016).

Au final, Ugo Bardi remarque que l’on pourrait expliquer la limite des dimensions des villes anciennes, en grande partie, par les limites des anciennes technologies de transport (Bardi, 2021). Le reste de l’explication de la limite des dimensions des villes anciennes se trouvent, selon lui, dans la nécessité de gérer tous les aléas qui pouvaient se produire dans le monde ancien : sécheresses, inondations, invasions d’insectes, épidémies, guerres, ou tout ce qui pouvait réduire la productivité agricole et endommager le système de transport (Bardi, 2021). Par conséquent le facteur critique déterminant la dimension des villes reposait sur leur capacité à développer leur hinterland nourricier grâce aux technologies de transports (Bardi, 2021). C’est-à-dire à capter des ressources alimentaires depuis une distance bien plus grande que leurs alentours immédiats, dès lors que les territoires les plus proches ne suffisaient plus à les ravitailler (Bardi, 2021).

« L’unité humaine, en Méditerranée, c’est à la fois cet espace routier et cet espace urbain, ces lignes et ces centres de force. Villes et routes, routes et villes ne sont qu’un seul et même équipement humain de l’espace. Quelles que soient sa forme, son architecture, la civilisation qui l’éclaire, la ville de Méditerranée est créatrice de routes et, en même temps, est créée par elles. » (Braudel, 2017)

Bibliographie

Bardi Ugo. Politiques de l’anthropocène. Chapitre 8 – Des transports sobres en période de descente énergétique : Gouverner la décroissance, 519-30. Presses de Sciences Po, 2021.

Brard Mickaël. Livraisons urbaines en vélos-cargos : le Low-Tech au service de la transition écologique des villes. La Pensée Écologique, publié en janvier 2020 [consulté le 20 avril 2022]. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-la-pensee-ecologique-2020-1-page-10.htm

Braudel, Fernand. La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II. 2. Destins collectifs et mouvements d’ensemble. Armand Colin, 2017

Mumford Lewis. La cité à travers l’histoire. Agone, 2011, 944 p.

Roddier François. Politiques de l’anthropocène. Chapitre 3 – Thermodynamique de l’évolution : Penser la décroissance, 63-81. Presses de Sciences Po, 2021.

Steel Carolyn. Ville Affamée : Comment l’alimentation façonne nos vies. Rue de l’échiquier, 2016, 448 p.

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