Contrairement à une idée simple et très répandue, mettre en place des circuits courts alimentaires de proximité (CCAP) ne mène pas systématiquement à une baisse de consommation de carburants d’origine fossile. Le rapport Circuits courts et transition écologique souligne que dans le transport des marchandises, « si l’on ne tient compte que du bilan carbone par kilo transporté, les circuits courts contribuent davantage au réchauffement climatique que les transports longue distance par camion ou bateau. » (Trollé et. al, 2021). En effet, selon l’ADEME (2017), « les émissions par kilomètre parcouru et par tonne transportée sont environ 10 fois plus faibles pour un poids lourd de 32 tonnes et 100 fois plus faibles pour un cargo transocéanique que pour une camionnette de moins de 3,5 tonnes ».
L’efficacité énergétique d’une organisation logistique réside actuellement dans sa capacité à minimiser l’empreinte carbone par tonne transportée. Lorsque de grandes quantités sont acheminées sur de longues distances de manière efficace, l’impact environnemental par unité de transport est considérablement réduit par rapport au transport de petites quantités sur de courtes distances dans des véhicules peu chargés, qui retournent souvent à vide (ADEME, 2017). Ainsi, en l’état actuel, les organisations logistiques des CCAP contribuent aux émissions de GES par les trajets motorisés des clients et au travers des livraisons souvent effectuées en véhicules utilitaires et sur des distances parfois élevées (Vaillant et. al, 2017).
Bilan d’émissions de GES, au périmètre des transports, de la tomate distribuée en Limousin (Rizet et. al, 2008)
La réduction de la vulnérabilité des transports alimentaires au pétrole via les CCAP se heurte à des freins, en grande partie logistiques. D’une part, le producteur a pour fonction de produire et il a peu de temps pour s’occuper de logistique, dès lors, les tournées ne sont pas optimisées (Loire-Atlantique, 2023). Qui plus est, optimiser les livraisons demande des compétences et de l’expérience que les producteurs n’ont pas. La solution pourrait être d’embaucher une personne compétente en la matière mais, dans le contexte actuel, les exploitations agricoles ne sont pas assez rentables pour cela.
D’autre part, les flux sont majoritairement tournés vers les zones urbaines à fort pouvoir d’achat (dont les métropoles), souvent éloignées des exploitations, et ce en raison du fait que cette distance permet encore, paradoxalement, de conserver la définition de « circuit de proximité ». La montée en puissance de la métropolisation, de la périurbanisation et de la spécialisation agricole en milieu rural, ainsi que l’éloignement croissant entre les zones de production et de consommation, l’accélération des rythmes sociaux et la diversification des besoins en fonction des moments de la vie tels que le travail, la famille et les vacances (Hérault et al., 2019), contribuent à accroître l’importance démographique et économique des grands bassins de consommation. Ces évolutions atténuent la capacité des circuits de proximité à fournir des approvisionnements à la population (Bidaud et Bourdy, 2023).
En somme, il est très difficile d’être plus efficace qu’un système d’approvisionnement alimentaire – même si non durable également – qui a été optimisé pendant des décennies sur la base de la concentration urbaine. On comprend alors que, sans un repeuplement des campagnes et la création de ceintures alimentaires, les modèles existants resteront marginaux face à l’efficacité des chaînes logistiques de la grande distribution. C’est le cas par exemple de la mutualisation des opérations logistiques au moyen de coopératives de producteurs constituant sur le papier un moyen susceptible de diminuer la dépendance des transports au pétrole. Créés par des exploitants et également actionnaires (bénéficiant parfois d’un soutien financier externe), certains acceptent de consacrer une partie de leur temps (environ 1 à 2 jours par semaine) à la gestion logistique, à la vente, au marketing, et autres aspects connexes (Bidaud et Bourdy, 2023). D’autres producteurs locaux ont la possibilité de contribuer au projet avec leurs propres produits pour diversifier l’offre de produits. Cette approche présente l’avantage de regrouper les ressources matérielles, le temps et la clientèle. Cependant, cela exige un processus d’apprentissage qui se déroule aux dépens du temps alloué aux activités de production, et qui implique des individus dont, là encore, ce n’est pas nécessairement le domaine d’expertise initial (Cerfrance, 2019).
Une autre tendance est la délégation à des prestataires en logistique qui font le lien entre les producteurs et les restaurateurs (Bidaud et Bourdy, 2023). Par exemple, en Loire-Atlantique, Le Kiosque Paysan est une association qui, à travers la mutualisation des approvisionnements, fait le lien entre les paysans bio, en circuits courts, situés dans un rayon de 100 km autour de Nantes et les acteurs des métiers de bouche de ce même territoire (restaurateurs, commerçants, traiteurs…), en recherche de valeurs et d’un approvisionnement local de qualité. Le Kiosque Paysan combine une plateforme de mise en avant des produits paysans locaux et un service de livraison mutualisé. Dans la pratique, ce genre de prestataire logistique propose aux producteurs de les représenter auprès des restaurateurs. Le producteur conserve la décision du prix de vente de ses produits tandis que le prestataire logistique perçoit une commission en échange de ses services. Bien que la délégation présente l’avantage de décharger les producteurs d’une partie ou de la totalité des aspects logistiques, elle a pour inconvénient d’augmenter le coût du produit et d’introduire un nouvel intermédiaire, ce qui va à l’encontre des objectifs des CCAP. De plus, l’optimisation reste, à l’heure actuelle et malgré les efforts, moins optimale que les logistiques de la grande distribution et les modèles économiques restent fragiles.
Cette situation est symptomatique et signifie que le problème n’est sans doute pas pris par le bon bout. Ainsi, on voit que la notion de proximité telle qu’elle est entendue dans les CCAP, est encore beaucoup trop large et se satisfait de la distance actuelle entre les lieux de production et de consommation. Si les circuits courts de proximité pourraient, peut-être s’ils étaient optimisés, présenter potentiel en matière de réduction de la dépendance des transports alimentaires au pétrole, actuellement cela ne semble pas être le cas. Tout indique que la tâche va être extrêmement difficile d’après les acteurs souhaitant s’emparer de la question (Agriflux, Kiosque Paysan, etc.), aucun d’entre eux n’étant encore rentable économiquement.
En parallèle, sans doute serait-il intéressant de questionner l’utilisation des CCAP. Autrement dit, est-il raisonnable que les CCAP nourrissent les métropoles, entretenant ainsi la fracture métabolique ? C’est-à-dire la désynchronisation géographique entre les lieux de production de notre alimentation et les bassins de consommation, l’allongement des étapes entre les maillons production et consommation, et la recherche de gains de productivité du travail en agriculture. Les usages actuels des CCAP ne maintiennent-ils pas la pression sur les campagnes ? N’est-ce pas mettre une logique, plutôt louable, au service du développement économique des métropoles en les libérant de leur plus gros problème à l’avenir, l’approvisionnement alimentaire ? Cette profondeur éthique indique que les CCAP devraient être au service des villes de campagne, et non des métropoles.
Seule solution, bien qu’un peu folle (mais pas tellement plus que la trajectoire sur laquelle nous sommes), prôner le retour massif de la très ancienne vente directe à la ferme dans le but de réduire drastiquement la dépendance des systèmes alimentaires au pétrole et la fracture métabolique, à condition bien sûr que les consommateurs puissent s’y rendre à vélo ou à pied (voire en transport en commun). Car, au niveau national, 24 % de la population est théoriquement dépendante de la voiture pour ses achats alimentaires (CRATer, 2023). Parmi cette population, les déplacements pour les achats alimentaires se font à 90 % grâce à la voiture et s’élèvent à plus de 60 kilomètres par semaine pour un foyer moyen (Barbier C. et al., 2019). Face au déclin annoncé du pétrole, cette situation est particulièrement préoccupante pour les classes moyennes et modestes – les plus représentées en milieu périurbain et rural (The Shift Project, 2021).
Bibliographie
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Vaillant, et al. « Transport et logistique des circuits courts alimentaires de proximité : la diversité des trajectoires d’innovation », Innovations, vol. 54, no. 3, 2017, pp. 123-147. Valiorgue Bertrand. Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène. Le bord de l’eau, 2020, 236 p.
Rizet C., M. Browne, J. Léonardi, J. Allen, M. Piotrowska, et al.. Chaînes logistiques et consommation d’énergie : cas des meubles et des fruits et légumes. 2008, 167p. ffhal-00544563f
The Shift Project. Rapport Pétrole : Quels risques pour les approvisionnements de l’europe ?.
The Shift Project, publié le 27 mai 2021 [consulté le 27 mars 2022]. Disponible sur :
https://theshiftproject.org/article/nouveau-rapport-approvisionnement-petrolier-europe/
Trollé A., Chiffoleau Y., Peres J.. Circuits courts et transition écologique. [Rapport Technique]
Programme Erasmus+ de l’Union européenne. 2021. ⟨hal-03752947⟩