Les recherches archéologiques menées sur le site de l’Emporium à Rome, un quai de chargement et de déchargement et un site d’entreposage, ont mis à jour un monticule d’amphores cassées laissant indiquer que la cité romaine importait au moins 7,5 millions de litres d’huile d’olive par an, par voie maritime (SCM Globe, 2018). Tout comme Rome qui, durant l’Antiquité, importait divers produits agricoles et alimentaires tels que le blé et les dattes depuis les provinces romaines d’Afrique du Nord, nos villes modernes dépendent désormais d’un hinterland nourricier de plus en plus vaste et mondialisé. En d’autres termes, pour répondre à leurs besoins alimentaires croissants, ces dernières étendent leur rayon d’approvisionnement depuis des zones géographiques de plus en plus lointaines. Et cette extension n’est rendue possible, principalement, que par l’existence d’un vaste réseau de transports maritimes et routiers.
Parce que ce sont les approvisionnements alimentaires qui maintiennent les civilisations vivantes, il n’y a pas de ville sans agriculture. Ainsi, à la fin de la première partie de son livre De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l’histoire Paul Bairoch conclut que « si l’agriculture rend possible et est même une condition indispensable à l’émergence des villes, elle est aussi un facteur qui, après un certain délai, amène inéluctablement la ville. Et quand le fait urbain est en place, il est source de nouveaux progrès dans le domaine très vaste du développement qui inclut la civilisation proprement dite et les multiples interactions entre la ville et la campagne. » (Bairoch, 1996).
Cette fonction vitale de l’approvisionnement global des villes est méconnue de la plupart des habitants et des acteurs de la fabrique de la ville alors qu’elle est essentielle. Par son efficacité même, la logistique alimentaire permet la fracture entre les lieux de production de notre alimentation et les bassins de consommation, mais aussi l’illusion pour le consommateur que les distances et les espaces sont d’une importance minime. La notion de distance s’est totalement estompée alors que des produits provenant des quatre coins du monde peuvent atterrir dans les assiettes à des prix accessibles (Bidaud et Bourdy, 2023). Seuls les habitants qui travaillent dans les secteurs de la logistique et du transport ou qui vivent à proximité des installations de fret, comme les ports, les marchés d’intérêt national (MIN) ou les entrepôts logistiques des enseignes de grande distribution, en ressentent directement les effets. Ces derniers prennent alors conscience de l’importance que revêtent à l’heure actuelle les activités de fret et de logistique alimentaire pour la ville. Mais beaucoup d’autres habitants ignorent les coulisses de cette gigantesque machinerie alimentaire, souvent nocturne, tenant pour acquis d’avoir à leur disposition dans les commerces alimentaires les produits qu’ils y trouvent ou ceux qu’ils se font livrer (Frémont, 2015).
Cependant, peu importe qu’il en soit conscient ou non, dans l’économie de marché, chaque agent, entreprise ou individu, contribue directement ou indirectement à la mise en place de systèmes logistiques visant à satisfaire ses besoins vitaux et parfois superflus jugés nécessaires au regard de ses activités ou de son bien-être (Frémont, 2015). Si les entrepôts, en tant que lieux permettant le stockage, le tri et les ultimes transformations de la marchandise, s’imposent désormais comme le cœur des organisations logistiques, les transports de marchandises, quant à eux, permettent leur approvisionnement et peuvent être vus comme les artères et les veines du système alimentaire. Or, toute transformation qui a lieu sur terre est une question d’énergie, et la logistique alimentaire ne fait pas exception. Selon certaines estimations, la logistique serait responsable de 10 à 11 % des émissions globales de CO2 (McKinnon, 2018), dont 8 à 9 % imputables rien qu’au transport de marchandises, et 1 à 2 % au fonctionnement des entrepôts, « sans tenir compte des activités digitales nécessaires au pilotage des flux » (Rouquet, 2020). La plupart des politiciens, des urbanistes et architectes qui font nos villes négligent donc l’importance fondamentale de l’énergie dans l’approvisionnement alimentaire des villes et par conséquent, son importance dans nos attentes ainsi que dans les trajectoires passées et futures des sociétés humaines…
Bibliographie
Bairoch Paul. De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l’histoire. Collection Arcades,
1996, 710 p.
Bidaud F. et Bourdy F. Géographie logistique du système alimentaire français : tendances et perspectives d’évolution. MASA, publié en 2023 [consulté le 27 juillet 2023]. Disponible sur : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/DOC-
CEP17/CEP_Document_de_travail_17_G%C3%A9ographie-logistique-du-syst%C3%A8me-
DABLANC, Laëtitia et FRÉMONT, Antoine (dir.) (2015) La métropole logistique. Le transport
de marchandises et le territoire des grandes villes. Paris, Armand Colin, 320 p.
Hugo.M. Globe, Supply Chain in Roman Empire. SCM GLobe publié le 23 décembre 2018 [consulté le 27 mars 2022]. Disponible sur : https://www.scmglobe.com/supply-chains-
roman-empire/
McKinnon A., 2018, Decarbonizing logistics. Distributing goods in a low-carbon world,
KoganPage.
Rouquet A., 2020, « Comment décarboner la logistique à l’horizon 2050 ? À propos du livre
d’Alan McKinnon. Decarbonizing logistics: distributing goods in a low-carbon world »,
Logistique et management, DOI : 10.1080/12507970.2020.1792809