Dans un contexte industriel, la logistique est définie comme « l’art et la science d’obtenir, produire et distribuer composants et produits au bon endroit, [au bon moment] et dans les quantités requises. » (ASCM, 2022).
Mais c’est d’abord dans le contexte militaire (qui est l’usage le plus fréquent), incluant aussi les mouvements de personnel, que la logistique a fait ses armes (ASCM, 2022). Ainsi, le chercheur Aurélien Rouquet a établi une première généalogie : la logistique moderne est issue de la pensée militaire. Ce dernier a retracé l’étymologie du terme en remontant au XVIe siècle, lorsque naît au sein de l’armée française la fonction de maréchal des logis, chargé d’organiser le déplacement des troupes et de loger les soldats (Socialter, 2023). C’est un moment clé dans l’histoire des armées, car il signale un changement d’ère. De la première armée permanente constituée sous Charles VII (1422-1461), qui comptait 9 000 hommes, à la guerre de Neuf Ans (1688- 1697) sous Louis XIV, qui en mobilisait 420 000, les effectifs sont multipliés quasiment par 50 (Socialter, 2023). Aurélien Rouquet précise d’ailleurs que « La logistique naît d’abord comme une technique du déplacement [des troupes militaires] plus que de l’approvisionnement [en matériel et munitions], à une époque où la faible puissance de feu rend la supériorité numérique décisive » (Ibid).
De nos jours, la logistique représente un enjeu important de compétitivité et de résilience des systèmes alimentaires. D’un point de vue alimentaire, la logistique représente « l’ensemble des activités de service visant à assurer le déplacement d’un produit de son lieu de production à son lieu de consommation » (Vaillant et all, 2017). La logistique permet au système alimentaire de s’affranchir en partie des distances, d’éloigner et d’élargir les espaces de production, d’échanges et de consommation. Elle joue donc un rôle fondamental dans l’organisation géographique des échanges mondiaux dans le secteur agroalimentaire. La logistique atténue les contraintes liées au temps et à la distance, optimise les flux de matières et d’informations, et joue un rôle central dans l’intégration des chaînes de valeur (Bidaud et Bourdy, 2023). Étroitement liée au processus de mondialisation, la logistique en facilite la réalisation. Sans les améliorations apportées aux performances logistiques, la réalisation d’échanges agricoles et alimentaires à grande échelle, sur des distances aussi considérables et avec une telle diversité de produits, n’aurait pas été possible (Claquin et al., 2017).
En résumé, tout comme l’aurait souligné Jacques Ellul vis-à-vis de la technique, la logistique internationale n’est ni bonne, ni neutre, ni mauvaise, elle est ambivalente. Celle-ci est cruciale dans les stratégies de guerre mais aussi indispensable dans les actions des ONG ayant pour objectif la lutte contre la faim dans les pays pauvres ou dans les régions en guerre, dans le cadre du commerce équitable, ou dans la répartition rapide de la nourriture pour éviter disettes et famines – même dans les pays occidentaux – quand le changement climatique impact les récoltes (Jancovici, 2023).
Ainsi, il est fort probable que seule la contrainte sur les transports de marchandises, composante de la logistique, poussera le système alimentaire à se transformer profondément… Si à l’avenir le climat venait à impacter lourdement la production agricole et alimentaire en France, il ne faudrait sans doute pas attendre longtemps pour que des rapports soumettent l’idée d’une délocalisation des productions dans des régions lointaines plus favorables. Il est à craindre rien ne changera fondamentalement, tant qu’il existera une offre de transports de marchandises abondante et peu chère. C’est grâce à cela également, que les consommateurs se détournent actuellement des produits bio et locaux pour retourner vers les produits issus des filières agricoles conventionnelles souvent lointaines ou encore que le marché du hard-discount ne s’est jamais aussi bien porté. La logistique internationale représente le choix et le choix, la tentation de vouloir sauvegarder son pouvoir d’achat aux dépens des agriculteurs français.
Si par le passé, les étals comptaient plus de produits locaux, il est certain que l’on y comptait moins de diversité – tant sur la nature que sur les prix – par apport à l’heure actuelle. La logistique internationale alimentaire apporte une illusion de diversité sur les étals en consolidant les flux alimentaires, mais détériore la diversité alimentaire mondiale en permettant la spécialisation des régions au travers de l’application des avantages comparatifs de David Ricardo. En ça, les transports et la logistique ont complètement éclaté les distances et les frontières au point où l’on peut même se demander s’il est encore logique de parler de systèmes alimentaires nationaux, régionaux, etc. tant ceux-ci sont finalement imbriqués et peuvent être finalement vus comme une sous-composante du système alimentaire global.
Bibliographie
ASCM. ASCM Supply Chain Dictionary. ASCM, publié en 2022 [consulté le 09 janvier 2023].
Disponible sur : https://ascm.force.com/community/apex/scormanywhere__SCORM_Player?KVl6EsrtbQUl
SoTWyZBmMUcnVKQgD3VWsQa5lLlKPeItTsQjRBG6bg1NwM85Uggg
Bidaud F. et Bourdy F. Géographie logistique du système alimentaire français : tendances
et perspectives d’évolution. MASA, publié en 2023 [consulté le 27 juillet 2023]. Disponible sur : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/DOC-
CEP17/CEP_Document_de_travail_17_G%C3%A9ographie-logistique-du-syst%C3%A8me-
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Claquin P., Martin A., Deram C., Bidaud F., Delgoulet E., Gassie J., Hérault B., 2017,
MOND’Alim 2030, panorama prospectif de la mondialisation des systèmes alimentaires, La
Documentation française, 228 p.
Jancovici Jean-Marc. Intervention à Grignon sur l’agriculture. Publié en mai 2023 [consulté le
27 juin 2023]. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=m1CV_ewVP4o
Socialter. Hors-série n°58 : L’empire logistique. 2023
Vaillant, et al. « Transport et logistique des circuits courts alimentaires de proximité : la diversité des trajectoires d’innovation », Innovations, vol. 54, no. 3, 2017, pp. 123-147.