Bien que le secteur agricole ne représente qu’une faible part de la consommation de produits pétroliers, l’importance du pétrole dans les transports en fait un élément extrêmement critique du point de vue de la sécurité alimentaire des territoires (Lallemand, 2019). En effet, pour reprendre les mots de la géographe spécialiste des systèmes alimentaires Carolyn Steel – en parlant du Royaume-Uni, où la dépendance aux importations de nourriture est particulièrement forte – « la plupart des aliments que nous mangerons la semaine prochaine ne sont pas encore arrivés dans notre pays » (Steel, 2016).
Si nos systèmes alimentaires sont dépendants des transports, nos systèmes de transport sont eux profondément dépendants du pétrole – et bientôt peut-être encore plus des métaux rares et critiques – pour assurer la circulation des intrants (pesticides, engrais de synthèse et minéraux, etc.), produits agricoles et alimentaires, machines agricoles, pièces de réparation, travailleurs et consommateurs au sein du système alimentaire. Le secteur des transports, cœur de notre système mondialisé hyper complexe, dissipe 60 % du pétrole extrait chaque année et émet 21 % des émissions de GES au niveau mondial (IEA, 2021). L’impact carbone du transport maritime est estimé à 3 % du total des émissions de GES d’origine anthropique (Walker et Schnurr, 2019). Fuel lourd ou allégé et même gasoil alimentent toujours la flotte mondiale de navires à plus de 90 % aujourd’hui (Le Marin, 2023).
Selon le site Planete energies (2019) le secteur du transport maritime dissiperait chaque année aux alentours de 7 % de la production mondiale de liquides pétroliers. En 2019, en France, les poids lourds et les VUL ont été les principales sources d’émissions de GES du transport de marchandises et représentaient 42 % des émissions du secteur des transports ainsi que 13 % des émissions nationales totales (CGDD, 2021). Malgré des années de développement durable, 99 % des 600 000 poids lourds roulaient encore au diesel, en France, en 2020 (MTECT, 2020) et, à périmètre inchangé, l’électrification des poids lourds n’en est qu’à ses balbutiements et pourrait bien ne pas être suffisante (effet parc, prix des véhicules électriques, contrainte sur les métaux essentiels à l’électrification des véhicules, crise financière et économique mondiale attendue, etc.).
Selon les fédérations de transporteurs, la part de la dépense des carburants représente au moins 25 % des dépenses totales, soit le deuxième poste de dépenses (Sénat, 2021). Ce chiffre indique que la rentabilité économique des entreprises du transport routier est également compromise dès lors que le prix des carburants augmente brutalement. À savoir, le choc pétrolier de 2008 a provoqué un nombre important de faillites chez les transporteurs routiers français.
Consommation annuelle d’énergie et émissions annuelles de CO2 liées au transport de
produits alimentaires en France, en Europe et dans le Monde (Projet CECAM)
Dans l’ensemble, les transports sont dépendants directement à 95 % (EEA, 2020) – et indirectement à 100 % – d’un flux continu de pétrole abondant et bon marché, en Europe comme ailleurs. En 2019, au niveau mondial, ce n’est pas moins de 21,9 milliards de barils de pétrole qui ont été dissipés par le système des transports, soit l’équivalent de 694 barils ou 110 400 Litres de pétrole par seconde. Ce constat démontre que nos sociétés sont toujours aussi massivement dépendantes du pétrole malgré des décennies de politiques de développement durable, et donc probablement dans une impréparation totale face à la baisse annoncée de la production pétrolière nette au niveau mondial.
S’il est courant d’entendre dire que le pétrole est l’énergie-matière reine, peu de gens ont conscience que la majorité de son utilisation est destinée au domaine des transports (carburants et fluides pour les voitures, camions, navires, avions, trains, bitume de nos routes, etc.). Qui plus est, cette dépendance des transports aux énergies fossiles n’est pas nouvelle puisque pendant la révolution industrielle et avant l’arrivée des moteurs à combustion interne, le charbon était massivement utilisé dans les transports ferroviaires et maritimes via la machine à vapeur. Certes, le développement des sociétés occidentales a été rendu possible par l’abondance des énergies fossiles, mais, si l’on analyse la manière dont les flux d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) et de matières (métaux, sables, bitume, produits agricoles et alimentaires, bois, etc.) ont été orientés depuis et dans quel but, on se rend compte que les sociétés occidentales se sont construites surtout grâce, et en bonne partie, pour les transports de marchandises.
Imaginons un instant les quantités gigantesques de combustibles fossiles et de matières premières qui ont été mobilisés pour la fabrication des moyens de transports ainsi que pour la construction et l’entretien des infrastructures (routes, ports, ponts, gares, voies ferroviaires, pipelines, etc.) ? Sans parler des flux d’énergies et de matières qui ont transité grâce à ces systèmes de transport pour, par exemple, la construction des métropoles et des mégapoles. Et si finalement, les maux du monde actuel s’expliquaient en grande partie par l’abondance des transports de marchandises ?
Or, la résilience du transport de marchandises (dont les transports agricoles et alimentaires) vis-à-vis du risque de baisse des approvisionnements pétroliers se réalise également par une modération de la demande de transport (Bigo, 2023). En effet, si les entreprises de la logistique et de la grande distribution essayent de s’emparer de l’enjeu de la « dépétrolisation » (électrification, biocarburants, etc.), il semble y avoir une impossibilité à la « dépétrolisation » à temps du transport routier de marchandises à demande de transport de marchandises inchangée (Sénat, 2021). Cette contrainte impacterait donc aussi les transports de produits agricoles et alimentaires. Sans autre solution, il conviendrait donc, en moyenne, de transporter moins, sur de moins longues distances.
Bibliographie
Bigo, A. (2023). Transport de marchandises : toutes les technologies pour sortir du pétrole. Polytechnique Insights. https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/industrie/transport-de-marchandises-tout-ce-quil-faut-faire-pour-sortir-du-petrole/
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secteur des transports. CGDD, publié en 2021 [consulté le 25 juillet 2022]. Disponible sur : https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone-ressources/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-des-transports
EEA. Transport: increasing oil consumption. EEA, publié le 3 février 2020 [consulté le 27 juin 2022]. Disponible sur : https://www.eea.europa.eu/publications/transport-increasing-oil-
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IEA. Global Energy Review 2021 Oil. IEA, publié en 2021 [consulté le 27 juin 2022]. Disponible
sur : https://www.iea.org/reports/global-energy-review-2021/oil
Lallemand F. Pétrole, à quand la disette ?. Les Greniers d’Abondance. Publié en 2019, [consulté le 22/08/2022]. Disponible sur : https://resiliencealimentaire.org/petrole-a-quand-la-disette/
Sénat. Transport de marchandises face aux impératifs environnementaux. Sénat, publié en
2021 [consulté le 27 mars 2023]. Disponible sur : https://www.senat.fr/rap/r20-604/r20-
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Steel Carolyn. Ville Affamée : Comment l’alimentation façonne nos vies. Rue de l’échiquier,
2016, 448 p.
Walker Tony Robert. Marine Transportation and Energy Use. Environmental Earth Sciences,
publié en novembre 2019 [consulté le 27 juin 2022]. Disponible sur :
https://www.researchgate.net/publication/335403999_Marine_Transportation_and_Energy
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Walker et al. Environmental Effects of Marine Transportation. World Seas: an Environmental
Evaluation (Second Edition). Publié en novembre 2019 [consulté le 27 juin 2022]. Disponible
sur : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/B9780128050521000309