Du point de vue de la résilience, les transports comptent parmi les grandes fonctions mondialisées du système que sont la finance, l’énergie, les transports, les communications, l’approvisionnement en eau et en aliments (dépendant des transports), les services sanitaires, les services gouvernementaux (Cochet, 2014). Or, le degré de vulnérabilité d’un système ne peut être plus bas que le degré de vulnérabilité de son composant ou sous-système le plus vulnérable. Ainsi, la dépendance des transports – routiers particulièrement – de marchandises au pétrole constitue probablement à court terme la première vulnérabilité du système alimentaire global dans son fonctionnement et sa raréfaction pourrait venir bouleverser l’approvisionnement alimentaire des villes. Qu’une tension suffisante ait lieu sur une chaîne métallique comportant un ou plusieurs maillons faibles, et il est certain que la rupture se produirait précisément où est située sa plus grande fragilité.
Si, à l’avenir, l’offre de transport de marchandises mondiale venait à se contracter fortement, la conséquence pourrait être, à la longue, la rupture d’un certain nombre de chaînes d’approvisionnement essentielles concernant les intrants (pesticides, engrais de synthèse et minéraux, etc.), produits agricoles et alimentaires, machines agricoles, ou encore pièces de réparation. Puis, par emballement sur les autres chaînes d’approvisionnement, la spirale contagieuse pourrait ainsi, en quelques années, dégrader les rouages du système alimentaire mondialisé jusqu’à réduire fortement les capacités d’approvisionnement de nos villes. Soulignons que la chute de Rome fut d’ailleurs concomitante à l’effondrement de son système de transport maritime, et ce en partie du fait que le système s’était saigné à mort pour le développer (Bardi, 2021). Ainsi, l’on comprend que nourrir les villes a toujours nécessité des efforts gargantuesques.
Dès lors, on peut se demander si, dans un monde en forte décrue pétrolière, une baisse de l’extractivisme, de la productivité du travail agricole, des rendements des surfaces agricoles et de l’offre de transport de marchandises nous permettrait encore de soutenir l’approvisionnement alimentaire des métropoles françaises ? Parier sur le fait que nous réussirons dans un monde post- pétrole (ou presque) à maintenir entre autres, en soutien du système alimentaire agro-industriel, les km parcourus et les tonnes transportées par voie routière pour le transport des intrants, machines agricoles, pièces de rechange, produits agricoles et alimentaires, etc. n’est-il pas risqué ? Surtout lorsque l’on sait que ce sont, en grande partie, les transports routiers de marchandises et le pétrole abondant et bon marché qui nous permettent de vivre l’anomalie historique actuelle du point de vue de l’approvisionnement alimentaire des villes, de l’emplacement géographique de certaines d’entre elles et surtout du point de vue de la taille des villes contemporaines.
Ainsi, la résilience alimentaire pourrait s’avérer essentielle face aux perturbations des chaînes d’approvisionnement, à l’inflation prohibitive des prix des produits alimentaires (y compris l’alimentation animale) et à la nécessité de remplacer les activités agricoles basées sur une forte consommation de pétrole. En somme, c’est le système alimentaire qui serait à repenser, c’est-à-dire la façon dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps pour obtenir et pour consommer leur nourriture (Malassis, 1994). Seraient tout autant concernés les activités de production, de transformation, de transport et distribution, de consommation, ainsi que les aspects organisationnels qui les déterminent. Une approche de la vulnérabilité des transports de marchandises face à l’incertitude sur les approvisionnements pétroliers permet de prendre conscience des défis majeurs auxquels le système alimentaire complexe et mondialisé va être confronté.
Bibliographie
Bardi Ugo. Politiques de l’anthropocène. Chapitre 8 – Des transports sobres en période de
descente énergétique : Gouverner la décroissance, 519-30. Presses de Sciences Po, 2021.
Cochet Yves. Sur la transition énergétique et l’avenir. Institut Momentum, publié en juin 2014
[consulté le 27 mars 2022]. Disponible sur : https://www.institutmomentum.org/wpcontent/uploads/2014/07/sur-la-transition-energetique-et-l-avenir.pdf
Malassis L. (1994) Économie agroalimentaire. T1. Économie de la consommation et de la
production agroalimentaire. Cujas, Paris.