De moins en moins d’humains et d’engrais organiques dans nos champs

Accueil > De moins en moins d’humains et d’engrais organiques dans nos champs

La concentration urbaine, l’exode rural et la croissance économique des 60 dernières années en France s’expliquent dans la révolution verte. C’est durant cette période que les champs ont commencé à se vider massivement au profit des villes. Certaines analyses soulignent d’ailleurs que les machines (engins agricoles, camions, etc.) alimentées par les énergies fossiles ont ajouté une puissance équivalente à 500 milliards de travailleurs humains (Hagens, 2022), et ce alors que seuls 5 milliards d’humains seraient en capacité de travailler à l’heure actuelle. Autrement dit, l’accès aux énergies fossiles et aux métaux décuplerait donc notre puissance d’un facteur 100… Là où un homme seul bien équipé peut cultiver 100 hectares, un paysan ne disposant que d’outils manuels ne peut guère cultiver correctement plus d’un hectare (Lallemand, 2019). C’est en soi la principale raison pour laquelle l’on entend parler du concept d’« esclaves énergétiques ».

Qui plus est, les énergies fossiles et les métaux (via l’extractivisme, les transports, la synthèse des intrants chimiques, la mécanisation) ont aussi permis d’augmenter les rendements des surfaces agricoles. On considère que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les rendements agricoles ont été multipliés par 5 grâce, surtout, au développement de la fertilisation de synthèse (Élémentarium, 2022). En France, par exemple, la fertilisation est effectuée sur une surface fertilisable de 25,9 millions d’hectares (Élémentarium, 2022).

À l’heure actuelle, au niveau mondial, un agriculteur nourrit en moyenne 5,5 personnes et la production peut subvenir aux besoins globaux (Rastoin, Ghersi, 2010). Mais ce chiffre cache de grandes disparités, car le problème de la faim est toujours présent, notamment à cause des récoltes perdues à la suite de mauvaises conditions climatiques (Bricas, 2017). Ce problème est moins présent en France, où un agriculteur nourrit environ 90 personnes, dont 70 sur le territoire national (Rastoin, Ghersi, 2010). Au final, un agriculteur français en 2023 peut, en moyenne, générer 500 fois plus de produits agricoles qu’un agriculteur français du 19e siècle. Félix Lallemand (2019) souligne même que les écarts de productivité peuvent être d’un facteur 1 000 en prenant en compte la sélection des variétés, l’amélioration de l’irrigation et l’utilisation des pesticides, qui ont également joué un rôle dans l’amélioration des rendements des surfaces agricoles.

En parallèle, il est important de souligner que les systèmes industriels n’ont eu qu’un effet minime sur l’augmentation des rendements des surfaces dans la production aquacole. En effet, l’océan demeure en grande partie un environnement sauvage. Par conséquent, la pêche est probablement l’un des rares secteurs où l’homme tire son alimentation d’une activité qui ressemble davantage à celle des chasseurs-cueilleurs plutôt qu’à une activité de culture (boostée, entre autres, par les engrais de synthèse) ou d’élevage d’espèces « domestiquées », sélectionnées, comme c’est majoritairement le cas dans la filière agro-alimentaire terrestre (Low-tech Lab, 2021). Cette situation pourrait en partie expliquer pourquoi, ces dernières années, la filière pêche a été confrontée plus rapidement et plus intensément que d’autres secteurs aux limites de la biosphère qui la concerne (Low-tech Lab, 2021).

En France, les 6,2 millions d’agriculteurs qui représentaient plus de 30 % des actifs au début des années 1950, ne sont plus que 824 000 aujourd’hui (3 % des actifs) (Lallemand, 2019). Depuis, un important exode rural a accompagné ces changements et la population urbaine croît fortement. De nos jours, 70 % de la population française habite en zones urbaines aujourd’hui, soit sur seulement 20 % de la surface du pays (Landes, 2022).

Les principaux métaux industriels (fer, cuivre, nickel, etc.) ont permis le développement des industries minière, pétrolière, électrique, de la machine à vapeur, des tracteurs, des camions, l’automobile, etc. Olivier Vidal indique d’ailleurs que « la population mondiale, le PIB (produit intérieur brut) moyen/hab, ainsi que la consommation d’énergie et de matières premières [dont les métaux] affichent les mêmes croissances quasi exponentielles depuis plus d’un siècle » (Vidal, 2020).

Peu à peu, les tâches humaines manuelles ont été remplacées par des machines pour un coût dérisoire puisque nous ne payons pas le véritable coût des énergies fossiles et des métaux, et le système alimentaire ne fait pas exception. Le machinisme agricole a permis des gains colossaux de productivité du travail chez les agriculteurs. Aujourd’hui encore, partout, on supprime des emplois pour mettre des machines (robots de traite, robots de désherbage, robots d’alimentation, bientôt tracteurs autonomes, etc.). Philippe Bihouix souligne que le « travail » des machines coûte moins cher aux entreprises en créant de la productivité (c’est-à-dire en économisant du travail humain), mais consomme beaucoup de ressources (dont des métaux) et d’énergie qui deviennent rares, ou dont la production est de plus en plus destructrice pour l’environnement (Chauvin, 2021).

Avant la révolution industrielle, la complexité avait un coût métabolique très important et était limitée du fait que la rareté des énergies fossiles et des métaux empêchait le remplacement du travail humain (Tainter, 2022). Mais aujourd’hui – en plus de n’avoir aucune vision de long terme – il semble qu’il n’y ait pour nous quasiment aucun frein environnemental à la complexification de nos sociétés. Les énergies fossiles et les grands métaux traditionnels (fer, cuivre, nickel, etc.) sont là comme par magie et nourrissent en abondance l’économie mondiale depuis le milieu du XIXe siècle (Guillebon, 2020). Tandis que les petits métaux, tels que les terres rares (qui ne sont pas si rares), dont l’exploitation est beaucoup plus récente, permettent la « révolution » technologique en cours (Guillebon, 2020). Nous utilisons aujourd’hui des technologies de plus en plus complexes, notamment par rapport à une époque où un objet ne pouvait contenir qu’un matériau : le bois, la pierre, le fer, le cuivre, l’or et l’argent (Guillebon, 2020). On ne trouve, aujourd’hui, pas moins de 70 métaux différents dans les smartphones et tablettes utilisés, entre autres, dans l’agriculture de précision (Thouverez, 2022) et quasiment autant dans les véhicules et tracteurs électriques (SystExt, 2020).

Rien d’étonnant finalement, car lorsque nous utilisons les énergies fossiles et les métaux, nous ne payons ni les millions d’années qui ont été nécessaires pour les créer, ni leur rareté des décennies à venir, ni même les coûts environnementaux engendrés, entre autres, par les pollutions et les GES émis lors de leur combustion ou tout au long du processus de leur fabrication. Nos sociétés complexes profitent donc de ces dons du sol en ne payant malheureusement que le coût de leur extraction et de leur raffinage.

Bibliographie

Bricas N. Les enjeux de l’urbanisation pour la durabilité des systèmes alimentaires. In BRAND
C., BRICAS N., CONARE D., DAVIRON B., DEBRU J., MICHEL L. SOULARD C.T. (Eds), 2017. Construire des politiques alimentaires urbaines. Concepts et démarches. Paris, Editions Quae, pp. 19-38

Chauvin Hortense. La technologie douce méprisée par les entreprise. Reporterre, publié le 30 août 2021 [consulté le 24 avril 2022]. Disponible sur : https://reporterre.net/La-technologie-douce-meprisee-par-les-entreprises

Guillebon Benoît. Post-R : métaux. Post-R, publié en 2020 [consulté le 26 avril 2022]. Disponible sur : https://post-r.futurs-souhaitables.org/posters/mtaux/

Hagens Nate. The Great Simplification Full Movie. resilience.org, publié en mars 2022 [consulté le 27 juin 2022]. Disponible sur : https://www.resilience.org/stories/2022-05-
19/the-great-simplification-full-movie/

Landes, H. (2022). Repeupler les campagnes : comment organiser l’exode urbain pour répondre à l’urgence écologique.

Lallemand F. La révolution verte et la naissance du système alimentaire industrialisé. Les
Greniers d’Abondance. Publié en 2019, [consulté le 22/08/2022]. Disponible sur : https://resiliencealimentaire.org/la-revolution-verte-et-la-naissance-du-systeme-alimentaire-industrialise/

L’Élementarium. Focus. L’Élementarium [consulté le 27 juillet 2022].
Disponible sur : https://lelementarium.fr/focus/

Low-tech Lab. À la rencontre d’Océane Alimentaire. Low-tech Lab, publié en 2021[consulté le 20 avril 2022]. Disponible sur : https://lowtechlab.org/fr/actualites-blog/enquete-4-oceane-
alimentaire

Rastoin J., Ghersi G.. Le système alimentaire mondial. Concepts et méthodes, analyses et
dynamiques, sous la direction de Rastoin Jean-Louis, Ghersi Gérard. Éditions Quæ, 2010.

SystExt. Les Métaux de la Révolution 4.0. SystExt, publié en 2020 [consulté le 27 mars
2022]. Disponible sur : https://www.systext.org/node/1568

Thouverez Pierre. Quels matériaux composent nos smartphones ?. Techniques de
l’ingénieur, publié le 20 juillet 2022 [consulté le 27 juillet 2022]. Disponible sur : https://www.techniquesingenieur.fr/actualite/articles/quels-materiaux-composent-nos-smartphones-113194/

Vidal Olivier. Impact de différents scénarios énergétiques sur les matières premières et leur disponibilité future. Annales des mines – Série Responsabilité et environnement, publié en 2020 [consulté le 27 juillet 2022]. Disponible sur : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03426222/

Contribuer à la Résilience alimentaire en Loire-Atlantique

Le portail Loire-Atlantique.resiliencealimentaire.fr se veut être contributif.