D’après Yves Cochet, la plupart des rapports d’experts considèrent que la baisse moyenne de la production de l’ensemble des produits pétroliers, après pic pétrolier mondial, pourrait atteindre 2 % à 4 % par an au niveau mondial (Cochet, 2021). Problème, chaque pays dépend entièrement d’une offre de transport abondante pour son économie (et son système alimentaire), et les grands pays producteurs de pétrole ont eux aussi besoin de transports pour opérer leur transition et/ou soutenir leurs grands projets d’infrastructures.
Ainsi, il est à craindre des phénomènes de « rétention pétrolière » et de « cannibalisme pétrolier » des pays producteurs aux dépens de pays importateurs, pouvant créer, qui plus est, une concurrence entre les pays non-producteurs. Les pays de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs) pourraient être amenés à conserver une part toujours plus croissante de leur production pour leur propre consommation, jusqu’à ce que ces derniers soient eux aussi contraints de moins transporter sur de moins longues distances. En conséquence, le taux de baisse des approvisionnements pétroliers des pays importateurs pourrait être bien plus élevé. Sauf à payer un prix exorbitant dû à la concurrence dans un marché de pénurie, ou à avoir une monnaie d’échange (ressources stratégiques), ces pays pourraient voir décliner leurs importations de 5 à 7 % par an selon les estimations (Cochet, 2021).
Par ailleurs, il existe ce que l’on appelle un effet parc, si tant est que cela soit possible énergétiquement et matériellement, renouveler la totalité des moyens de transports routiers va demander des dizaines d’années. Qui plus est, le prix d’un véhicule industriel électrique (option la plus sérieuse pout la dépétrolisation des poids lourds), reste bien supérieur à celui d’un camion dit « classique », dû en partie au manque de massification de la production. Les organisations professionnelles de transporteurs soulignent que le prix à l’achat d’un poids lourd électrique est cinq fois plus élevé que pour un véhicule diesel (Sénat, 2021). Les constructeurs évoquent quant à eux, pour les véhicules disponibles, un surcoût de 20 % à 30 %, sur le cycle total de vie du véhicule, en prenant en compte les aides publiques (Sénat, 2021).
Enfin, cet effet parc pourrait être aggravé par un ralentissement du renouvellement de la flotte en cas de crise financière et économique globale engendrée par le passage du pic pétrolier (Hagens, 2020). La baisse moyenne de la production de l’ensemble des produits pétroliers au niveau mondial va donc avoir un impact considérable sur les systèmes de transport des pays importateurs de pétrole.
En d’autres termes, dans un monde où le pétrole est de moins en moins accessible, pourraient augmenter la « rétention pétrolière » et le « cannibalisme pétrolier » chez les pays producteurs, diminuer les capacités d’investissement dans les infrastructures et le renouvellement de la flotte pour des véhicules dépétrolisés chez les pays consommateurs, et pourrait se réduire, tôt ou tard, le surplus pétrolier permettant de nourrir les systèmes de transports des pays importateurs, indispensables, entre autres, au système agro-industriel actuel fortement consommateur d’énergies fossiles ou encore, à la production, au déploiement, à la maintenance, au maintien, ainsi qu’au renouvellement du parc des énergies renouvelables, des véhicules électriques et des installations de recharge : les « solutions » mêmes qui sont censées améliorer l’autonomie et l’efficacité énergétique ainsi que le découplage entre PIB et émissions de GES (Caminel, 2021).
Alors que le passage annoncé de nombreux pics peut s’avérer encore plus inquiétant, le pic de la production nette de pétrole à l’échelle mondiale lui semble déjà dépassé. Comme il a été dit précédemment, la descente dans les années et décennies à venir pourrait être vertigineuse pour les pays importateurs. L’énergie nette disponible issue de la production pétrolière pourrait être insuffisante pour alimenter les systèmes de transports (en particulier le transport routier), piliers de l’auto-organisation des sociétés modernes. C’est pourquoi, Benoît Thévard (2014) indique que le risque est que cela conduise à une explosion de la méga-structure mondialisée pour revenir à des structures plus petites et plus sobres. Le système agro-industriel étant complètement imbriqué dans cette méga-structure, ceci pourrait signifier, entre autres, la fin du modèle de la grande distribution telle que nous la connaissons. Pour rappel, en France, 70 % des achats alimentaires pour la restauration à domicile se font en grande distribution (FCD, 2019).
Nous pourrions donc assister à des phénomènes de surpopulation au niveau local en particulier dans les sociétés occidentales fortement urbanisées. Ainsi, à cause, entre autres, des pénuries alimentaires ou tout au moins de l’inflation prohibitive des prix des produits alimentaires, la majorité des métropoles pourraient perdre une part importante de leur population, qu’elles aient ou non un accès maritime. La situation semble bien plus compliquée encore pour les mégapoles de plusieurs millions d’habitants. En effet, même le transport maritime, qui semble à première vue hors de danger avec l’espoir qu’offre l’hydrogène ou le gaz naturel pour le maintien de la flotte, est en réalité voué lui aussi à se contracter fortement du fait de plusieurs facteurs (dépendance au pétrole, dépendance vis-à-vis du transport routier pour les étapes de pré-acheminement et de post-acheminement des marchandises, ralentissement général de l’économie mondiale, etc.). Le pré-acheminement et le post-acheminement des conteneurs, des marchandises en vrac, etc. jusqu’aux ports et depuis les ports se font en grande majorité par la route. Moins de transport routier signifie mécaniquement moins de capacités d’approvisionnement pour les gigantesques porte-conteneurs, vraquiers-céréaliers, etc. Les volumes de marchandises transportées diminuant, les armateurs pourraient être amenés, progressivement, à faire décroître la taille et le nombre de leurs navires. Logiquement, ceci annonce la fin du gigantisme des navires et donc des villes…
Bibliographie
Caminel Thierry. Politiques de l’Anthropocène. Chapitre 4. L’impossible découplage entre
énergie et croissance : Penser la décroissance, 255-271. Presses de Sciences Po, 2021.
Cochet Yves. Politiques de l’Anthropocène. Chapitre 6. L’économie biophysique: Une
économie pour l’ère de la décroissance : Économie de l’après-croissance, 291-310.
Presses de Sciences Po. 2021.
Fédération du Commerce et de la Distribution. Évolutions du commerce et de la distribution :
Faits et chiffres 2019. Publié en 2019 [consulté le 26 avril 2022]. Disponible sur : https://www.fcd.fr/media/filer_public/4a/6d/4a6d793e-fc87-43f8-bada-bf84bfd55c6c/evolutions_du_commerce_et_de_la_distribution_-_faits_et_chiffres_2019-
Hagens Nathan John. Economics for the future – Beyond the superorganism. Science direct,
publié en mars 2020 [consulté le 27 juillet 2022]. Disponible sur :
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800919310067
Sénat. Transport de marchandises face aux impératifs environnementaux. Sénat, publié en
2021 [consulté le 27 mars 2023]. Disponible sur : https://www.senat.fr/rap/r20-604/r20-
604_mono.html#fn134