Châssis figuratif du territoire de la France partagé en divisions égales entre elles, conformément au rapport du Comité de Constitution fait à l’Assemblée Constituante, le mardi 25 septembre 1789. (Illustration : © Archives Nationales)
Pour rappel, l’électrification des poids lourds à demande globale inchangée, en tant que meilleur potentiel pour la dépétrolisation des transports routiers de marchandises, n’en est qu’à ses balbutiements et pourrait bien ne pas être suffisante (effet parc, prix excessif des poids lourds électriques, contrainte à venir sur les métaux essentiels à l’électrification des véhicules, crise financière et économique mondiale attendue, etc.), et ce malgré l’imminence de la baisse de la production nette de pétrole à l’échelle mondiale… Malgré des années de développement durable, 99 % des 600 000 poids lourds roulaient encore au diesel, en France, en 2020 (MTECT, 2020). En parallèle, la France importe 99 % du pétrole qu’elle consomme et fait appel à des importations massives de diesel pour pallier au manque de production sur son territoire (Ufip Énergies et Mobilités, 2022). Ainsi, au regard de la probable contrainte à venir sur les transports de produits agricoles et alimentaires – qui représentent aux alentours d’un tiers des volumes transportés par la route (MTE, 2022) -, la résilience alimentaire semble concerner tout particulièrement l’échelle départementale.
Dans « Politique et géographie lors de la création des départements français (1789-1990) » de Marie-Vic Ozouf-Marignier, on apprend que la taille des carrés, dans le projet initial de division des départements en carrés, était conçue pour permettre de faire l’aller-retour au chef-lieu en moins d’une journée de cheval et y traiter ses affaires en une journée, il s’agissait non seulement de faire le voyage mais aussi de séjourner quelques heures au chef-lieu. S’il était question d’un périmètre déterminé avant tout selon les possibilités de mobilité individuelle, l’échelle géographique départementale montre une certaine proximité avec les habitants du territoire.
De leur côté, les échelles communale et intercommunale semblent trop petites en raison, entres autres, du besoin de diversité des productions alimentaires, du manque de surface agricole dans les milieux urbains et de la nécessité de prendre compte la probabilité d’un exode urbain. En effet, à l’heure actuelle, si toute la surface agricole utile de la métropole nantaise (12 632 ha) produisait pour ses habitants, celle-ci ne permettrait de nourrir que 4,3 % de la population métropolitaine, soit aux environs de 29 400 personnes (voir le Calculateur surface agricole nécessaire pour nourrir les habitants d’un territoire). En conséquence, les territoires ruraux pourraient se voir être des terres d’accueil des populations métropolitaines qui, face à l’inflation galopante et les pénuries alimentaires à craindre dans les grands centres urbains, n’auront probablement d’autre choix que la quête de surfaces à cultiver dans le but de produire une part de leur alimentation. Ainsi, il conviendrait que les territoires ruraux ne se fixent pas comme objectif d’atteindre seulement la surface agricole nécessaire pour nourrir leurs habitants en fonction du régime alimentaire moyen mais bien de dégager un surplus de surface agricole permettant l’accueil des métropolitains.
Développer une stratégie de résilience alimentaire pour une métropole n’a en réalité que peu de sens, car pour nourrir Nantes Métropole et ses 647 000 d’habitants, il est théoriquement nécessaire de mobiliser plus de 278 000 hectares d’hectares, soit 5,5 fois plus que la surface de Nantes Métropole. Si l’on reterritorialisait la production de l’alimentation au plus près de Nantes – ce qui serait très difficile au vu de l’urbanisation -, il nous faudrait mobiliser plus de la moitié de la surface agricole utile de la Loire-Atlantique et par conséquent inciter les habitants des territoires agricoles concernés à quitter le département ou à mobiliser des surfaces agricoles éloignées… La résilience alimentaire de Nantes Métropole ne peut véritablement se penser, surtout quand on sait qu’elle se ferait au détriment des populations et des territoires environnants. Ce type d’approche reviendrait à créer une forme de « dette de surfaces alimentaires mobilisées » que l’on ferait rouler géographiquement jusque dans les départements limitrophes : les territoires densément peuplés accaparant les terres agricoles des régions moins urbanisées ou économiquement moins puissantes. Une telle dynamique reproduirait en quelque sorte les mécanismes du colonialisme, cette fois-ci à l’échelle territoriale.
La contrainte importante des prochaines décennies sur la capacité des réseaux de transports à approvisionner les habitants des territoires en un temps raisonnable au regard de la durée de vie des produits frais et du coût énergétique de leur livraison pourrait rendre à terme l’échelle régionale quant à elle trop grande – sauf peut-être pour les rares régions disposant, à la fois, d’un important potentiel de transport maritime côtier (cabotage maritime régional), de transport fluvial et de transport ferroviaire. Nous pourrions voir d’ailleurs un retour de la fermentation ou la salaison, ces techniques permettaient de stocker des denrées périssables sur de plus longues périodes et de les transporter sur de plus longs trajets, ce qui a favorisé le commerce à plus grande échelle par le passé. En outre, il n’est pas exclu qu’une partie de notre alimentation puisse être un jour lyophilisée – si tant est que cela puisse se faire de manière low-tech – afin d’exclure le plus possible la part d’eau transportée dans les produits agricoles et alimentaires. À ce propos, soulignons qu’il est peu probable que l’on transporte autant de bouteilles d’eau à l’avenir tant ce flux est un non-sens énergétique et matérielle.
En somme, il est probable que les Départements regagnent, dans les années 2030, en compétences sur le sujet du système alimentaire tant les crises vont être importantes, l’État et les Régions risquant de ne plus pouvoir jouer leur rôle. L’approche de la résilience alimentaire pour le département de la Loire-Atlantique est d’autant plus nécessaire que le territoire fait, malheureusement d’ores et déjà face à de multiples enjeux socio-écologiques. Alors, qui sait, peut-être finira-t-il par être un territoire exemplaire en 2040 ?
Bibliographie
Ministère de la transition écologique. Le parc de poids lourds en circulation est stable au 1er janvier 2020. Ministère de la transition écologique, publié le 12 octobre 2020 [consulté le 26 avril 2022]. Disponible sur : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/le-parc-de-poids-lourds-en-circulation-est-stable-au-1er-janvier-2020
Ministère de la transition écologique. Les informations clés du secteur du transport de marchandises (TRM). Ministère de la transition écologique, publié le 30 mai 2022 [consulté le 26 avril 2022]. Disponible sur : https://www.ecologie.gouv.fr/informations-cles-du-secteur-du-transport-marchandises-trm
UFIP. Approvisionnement de la France en carburants. UFIP, publié en 2022 [consulté le 24 mars 2023]. Disponible sur : https://www.energiesetmobilites.fr/uploads/pdf/Approvisionnement_de_la_France_en_carburants-finale_.pdf